Face au journal de 20 heures, face aux infos terribles qui nous arrivent, servies sur un plateau à l’heure du dîner, on a tous une sorte de carapace. Un protection, souvent due à la distance entre nous et les évènements. C’est la fameuse règle de proximité. Ça je l’ai appris à l’école. Ce qu’il se passe à côté de chez toi t’intéressera toujours plus que ce qu’il se passe à l’autre bout du monde. Et ce qu’il se passe à l’autre bout du monde te touchera toujours moins que ce qu’il se passe à côté de chez toi. Mais il y a des exceptions. Avoir un proche « là-bas » au moment où une catastrophe se produit « là-bas », ça change la donne, ça modifie les distances. Que mon père soit à Tokyo au moment du séisme, forcément, ça m’a rapproché, de lui et de tout le pays. Mais pas seulement. Au-delà de l’angoisse, de la peur ressentie pour mon père, ça a ouvert une brèche. Cette protection qui me permet de raconter de façon neutre ce qui se passe quotidiennement en France, dans le monde, parce que c’est mon métier, est en train de se fissurer. Mon père est rentré, il est en sécurité, et pourtant j’ai toujours cette boule au ventre. Maintenant, chaque info que j’entends, que je réécris, que je retransmets, je me la prends de plein fouet.
Archive pour mars, 2011
Posted in Blabla on lundi 14 mars 2011 by klaims
La terre a tremblé là-bas et moi j’ai tremblé ici. Pour lui. Et puis le tsunami a balayé la côte et l’angoisse a inondé mon esprit. Sans prévenir, je me suis retrouvée avec une boule au ventre, qui brûle, qui se consume, qui irradie. Une peur brute chevillée au corps, des larmes qui rongent comme de l’acide et le cerveau en surchauffe.
Alors internet, mails, messagerie deviennent un nouveau cordon ombilical. S’accrocher à un terminal en permanence pour ne pas perdre le contact. Toujours avoir un œil sur la messagerie instantanée. « Tant qu’il est connecté, c’est que ça va là-bas ». Et parler, parler, parler, de tout, de rien, du temps qu’il fait, de choses anodines. Mais parler pour être sûre qu’il est toujours là.
Il y a aussi l’information en transfusion, comme une drogue, un calmant et un poison à la fois. Qui alimente l’imagination mais permet de se raccrocher à quelque chose. Tout sauf l’ignorance et le silence. Alors on consulte compulsivement toutes les sources qui nous tombent sous la souris, jusqu’à l’obsession. En comparant les différentes versions, de la plus rassurante à la plus alarmiste. Mes confrères sont devenus mes dealers et pour la première fois de ma vie j’ai détesté ma profession.
Et puis il y a l’attente. « Quand est ce que vous allez le faire rentrer ? » « On ne sait pas mademoiselle. » « Demain. » « Non, finalement dans 5 jours. » « Normalement son avion décolle ce soir. » « Il a pris trop de
retard, le vol est annulé. » « Il part demain, cette fois c’est sur. » Cette fois c’est sur, ils l’ont dit.
Mais la seule certitude c’est la peur. La peur d’une nouvelle secousse, la peur des risques nucléaires, la peur que les médias ne disent pas tout. La peur de ma vie, pour la sienne.
Maintenant, il est en route. Pour de bon. Mais je serai complètement rassurée quand il aura posé le pied sur une terre qui ne tremble pas. Pas avant. Jamais je n’aurai autant attendu un putain d’avion.
[Ca y est, il est rentré et mon coeur s’est remis à battre. Mais je garde toujours dans un coin de ma tête une pensée pour ceux qui sont encore là-bas, ceux dont des proches, des amis, de la famille sont là-bas.]